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Renouvellement non automatique du mandat d’administrateur : attention aux conséquences !

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7 May 2022

Bloch Avocats

Préambule

Dans la pratique, il peut arriver que les membres du conseil d’administration d’une société anonyme ne soient pas réélus par l’assemblée générale des actionnaires, sans que leurs mandats n’aient pour autant été révoqués de manière formelle par l’assemblée générale des actionnaires.

Cela est particulièrement le cas lorsqu’une assemblée générale des actionnaires n’a pas eu lieu, ou parce que l’élection des membres du conseil d’administration n’est pas portée à l’ordre du jour lors de l’assemblée générale des actionnaires.

Il se pose dès lors la question de savoir si les mandats d’administrateurs des membres du conseil d’administration sont reconduits de manière tacite et automatique.

Dans le cas contraire, si les mandats des membres du conseil d’administration ne sont pas reconduits de manière tacite et automatique, quelles sont les conséquences pour les membres du conseil d’administration, pour la société anonyme concernée, pour les actionnaires et les créanciers de la société anonyme concernée ?

Se pose également la question de savoir si les statuts d’une société anonyme peuvent contenir une disposition prévoyant la réélection automatique du conseil d’administration.

Le Tribunal fédéral a récemment traité ces problématiques dans le cadre de l’arrêt TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021.

Rappel des bases légales pertinentes

Avant d’analyser l’arrêt précité, il convient de faire un bref rappel des dispositions légales pertinentes.

  1. L’assemblée générale des actionnaires d’une société anonyme est titulaire du droit intransmissible de nommer les membres du conseil d’administration (art. 698 al. 2 ch. 2 CO).
  2. L’assemblée générale est convoquée par le conseil d’administration (art. 699 al. 1 1ère ph. CO).
  3. L’assemblée générale ordinaire des actionnaires a lieu chaque année dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice (art. 699 al. 2 2ème ph. CO).
  4. Les membres du conseil d’administration sont élus pour trois ans, sauf disposition contraire des statuts. La durée des fonctions ne peut cependant excéder six ans (art. 710 al. 1 CO).
  5. Les membres du conseil d’administration sont rééligibles (art. 710 al. 2 CO).
  6. Un actionnaire ou un créancier peut requérir du tribunal qu’il prenne les mesures nécessaires lorsque l’organisation de la société présente une carence, soit en particulier lorsqu’un des organes prescrits par la loi fait défaut (art. 731b ch. 1 CO).
  7. Le tribunal peut notamment prononcer la dissolution de la société et ordonner sa liquidation selon les dispositions applicables à la faillite (art. 731b al. 1bis ch. 3 CO).

Absence de reconduction tacite et automatique

Selon le Tribunal fédéral, si les membres du conseil d’administration ne sont pas réélus, sans avoir été révoqués de manière formelle, parce qu’une assemblée générale des actionnaires n’a pas eu lieu selon l’article 699 alinéa 2 CO, ou parce que l’élection des membres du conseil d’administration n’est pas portée à l’ordre du jour lors de l’assemblée générale des actionnaires, les mandats d’administrateurs des membres du conseil d’administration prennent fin au plus tard six mois après la clôture de l’exercice pertinent (TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en particulier le considérant 3.5).

Les mandats d’administrateurs des membres du conseil d’administration ne peuvent ainsi être reconduits que si l’assemblée générale des actionnaires de la société anonyme concernée décide d’une réélection des membres du conseil d’administration, par une manifestation positive de volonté (TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en particulier les considérants 3.1 à 3.5).

Par conséquent, les mandats d’administrateurs des membres du conseil d’administration ne sont pas reconduits de manière tacite et automatique si les membres du conseil d’administration ne sont pas réélus par l’assemblée générale des actionnaires, et ceux-ci prennent fin au plus tard six mois après la clôture de l’exercice pertinent.

Conséquences pour les membres du conseild’administration

Les membres du conseil d’administration qui n’ont pas été réélus dans leurs mandats d’administrateurs continuent toutefois à assumer cette fonction en qualité d’organe de fait, et encourent la même responsabilité personnelle qu’un administrateur réélu selon l’article 754 CO, lequel s’applique également pour les organes de fait (TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en particulier le considérant 3.4).

Conséquences pour la société anonyme concernée

S’agissant de la société anonyme concernée, en l’absence d’un conseil d’administration dont les membres ont été réélus par l’assemblée générale des actionnaires, il existe une carence dans son organisation.

Conséquences pour les administrateurs et lescréanciers

Tout créancier ou actionnaire peut alors demander au juge de prendre les mesures nécessaires, lesquelles peuvent inclure, selon le cas, la dissolution et la liquidation de la société anonyme (TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en particulier les considérants 3.1.2 et 3.6).

En cas de dommages pécuniaires des créanciers et des actionnaires résultant des mesures ordonnées par le juge en raison d’une carence dans l’organisation d’une société anonyme, tout créancier ou actionnaire concerné peut agir en responsabilité au sens de l’article 754 CO contre les membres du conseil d’administration non-réélus, sur la base de leur qualité d’organe de fait, en raison de leurs omissions, en particulier lorsqu’une assemblée générale des actionnaires n’a pas été convoquée, ou lorsque la réélection des membres du conseil d’administration n’est pas portée à l’ordre du jour de l’assemblée générale des actionnaires.

Impossibilité de prévoir une clause statutaire dereconduction automatique des mandatsd’administrateurs

Une disposition statutaire prévoyant la réélection automatique du conseil d’administration est nulle, dans la mesure où elle viole le droit intransmissible de l’assemblée générale de nommer les membres du conseil d’administration (art. 698 al. 2 ch. 2 CO ; TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en particulier les considérants 3.1.3 et 3.3).

Une société anonyme ne peut ainsi pas prévoir, dans ses statuts, que les membres du conseil d’administration seront réélus de manière automatique.

Critique que l’arrêt du Tribunal fédéral TF4A_496/2021 du 3 décembre 2021

L’arrêt du Tribunal fédéral TF 4A_496/2021 du 3 décembre 2021 est critiquable sur plusieurs points.

La société anonyme confrontée à une situation de blocage de nature à empêcher la réélection des membres du conseil d’administration s’expose à une procédure judiciaire liée à une carence dans son organisation, partant à une potentielle dissolution.

Les tiers de la société anonyme concernée sont protégés par l’effet de la foi publique du registre du commerce et peuvent ainsi considérer que la société anonyme concernée est valablement représentée par ses organes inscrits au registre du commerce.

Au moment de la signature d’un contrat avec la société anonyme concernée, le tiers n’est pas tenu de demander au représentant de la société inscrit au registre du commerce de prouver sa réélection en tant qu’administrateur.

Il paraît également douteux de qualifier d’organe de fait un administrateur qui reste inscrit au registre du commerce en qualité d’administrateur, même s’il n’a pas été réélu de manière formelle par l’assemblée générale des actionnaires.

Conclusions

Les mandats d’administrateurs des membres du conseil d’administration ne sont pas reconduits de manière tacite et automatique si les membres du conseil d’administration ne sont pas réélus par l’assemblée générale des actionnaires, et ceux-ci prennent fin au plus tard six mois après la clôture de l’exercice pertinent.

Les membres du conseil d’administration qui n’ont pas été réélus dans leurs mandats d’administrateurs continuent toutefois à assumer cette fonction en qualité d’organe de fait, et encourent la même responsabilité personnelle qu’un administrateur réélu selon l’article 754 CO, lequel s’applique également pour les organes de fait.

En l’absence d’un conseil d’administration dont les membres ont été réélus par l’assemblée générale des actionnaires, il existe une carence dans son organisation.

Tout créancier ou actionnaire peut alors demander au juge de prendre les mesures nécessaires, lesquelles peuvent inclure, selon le cas, la dissolution et la liquidation de la société anonyme.

Tout créancier ou actionnaire concerné peut également agir en responsabilité au sens de l’article 754 CO contre les membres du conseil d’administration non-réélus, sur la base de leur qualité d’organe de fait.

Une société anonyme ne peut ainsi pas prévoir, dans ses statuts, que les membres du conseil d’administration seront réélus de manière automatique.

Eu égard à la complexité juridique du droit des sociétés, nous recommandons aux sociétés de faire appel à un conseil juridique pour toute question en lien avec le droit des sociétés. Il est en particulier impératif de demander conseil en amont d’une situation de blocage, ou pour débloquer une situation de blocage, afin d’éviter que des mesures judiciaires soient prononcées en raison d’une carence dans l’organisation.

À l’instar de la problématique traitée dans le présent article, une méconnaissance du droit des sociétés peut avoir de graves conséquences juridiques pour une société. L’Étude Bloch Avocats accompagne régulièrement des sociétés, administrateurs, actionnaires et créanciers dans les domaines du droit des sociétés, du droit commercial et du droit des contrats.